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Les RÒles Spécifiques De La Gestualité Et Ses Implications Psycho-Corporelles En Clinique

Vaysse Jocelyne
MD, PhD, Habilitée à Diriger des Recherches
Enseignante à l'Université Paris X
Membre du Centre de Recherche Psychanalyse et Médecine, Université Paris VII
jocelyne.vaysse@wanadoo.fr

Résumé

La nature multimodale des échanges conversationnels est approfondie dans le site médical à partir d'un panel de consultations (vidéo). L'observation des interactions fait discuter la classe sémiotique des gestes les plus sollicités dits « corpo-centrés », la référence au corps et l'impact identificatoire, l'ancrage corporel de la pensée, les processus informatifs, référentiels, empathiques permettant au médecin des inférences sur son patient et des hypothèses diagnostiques.

Mots-clés : Site médical, Sémiotique gestuelle, Référence corporelle, Identification, Empathie.

Abstract

The semiotic and fonctional qualities of gestures related to body are discussed in the clinical field. The importance of informational, referential and empathic processes which give diagnosis and therapeutic tracks, which work to make sense during patient-physician interaction, is evaluated.

Key-words : Medical setting, Gestural semiotics, Body references, Identification, Empathy.

Les classiques échanges multi-modaux dans les situations conversationnelles de face à face sont réétudiés à la faveur de travaux de recherche personnels dont les particularités sont : d'une part, de se dérouler dans le site médical ; d'autre part, de cibler le discours non verbal peu exploré dans le domaine des soins, les publications s'intéressant essentiellement au discours verbal, là où pourtant le corps - en souffrance - est le motif de l'interaction.

1. Contexte, Corpus, Méthodologie

Le contexte de la présente recherche concerne le déroulement d'entretiens médicaux dans le temps où le patient explique au médecin les symptômes dont il se plaint et donne ses propres appréciations et hypothèses quant à leur étiologie.

A partir de la mimo-posturo-gestualité, la kinésique considérée dans ce travail est la gestualité spécifiquement dirigée vers le corps du parleur.

En tant que médecin et psychologue (travail de liaison), j'ai pu constituer un corpus de consultations d'évaluation psychosomatique enregistrées en vidéo pendant les vingt premières minutes (excluant la phase de l'examen physique) de la consultation du patient.

Les 2 interlocuteurs sont pris en plan fixe afin de saisir la kinésique personnelle et interactive survenant pendant l'entretien, avec leur accord et dans le respect des lois éthiques.

Ma démarche a été plus inductive que déductive, basée sur l'observation en situation afin de renforcer l'objectivité des données et de déceler des faits réels tenus pour négligeables ou passant inaperçus sans une micro-analyse de cette interaction particulière.

Alors que le patient expose ses troubles à son interlocuteur médecin et que celui-ci/celle-ci dialogue avec le patient, les gestes centripètes « main vers le corps du parleur » dits « corpo-centrés » (on va préciser l'intérêt de cette dénomination) sont repérés et nommés en référence à la classification actuelle de la gestualité conversationnelle (Cosnier 1999 révisée 2006) qui tient compte des travaux antérieurs (Efron, Greimas, Mahl, Ekman et Friesen...).


Au sein de la gestualité conversationnelle, la gestualité corpo-centrée est appréciée :

- dans ses rapports à la verbalité, afin de discuter de son aspect sémiotique et de son rôle

informatif,

- dans ses rapports au corps, en questionnant en particulier sa participation aux processus référentiels et empathiques.

Les implications d'une telle gestualité sont argumentées au plan linguistique et psycho-dynamique.

La transcription de la gestualité et de la verbalité se fait ainsi : « xxxxxxxxxxxxxx » : la partie soulignée correspond à la disposition temporelle du geste par rapport à l'émission verbale, elle est suivie de précisions concernant le descriptif et le trajet du geste (G).

2. Le geste corpo-centré dans son rapport à la parole
- implication informative -

2.1. L'interaction s'apprécie au plan quantitatif

En traitant le script des consultations, on s'aperçoit que, quantitativement, leur déroulement interactif rejoint les constats discursifs habituels d'une intrication Gestes - Paroles fluide et coordonnée, ici dans les proportions suivantes :

  • Gestes + Paroles = 85 %

  • Gestes sans Paroles = 12 %

  • Paroles sans Gestes = 4 %

2.2. Reconnaître ces gestes centrés sur le corps revient à les qualifier au plan sémiotique

On trouve les gestes auto-centrés proprement dits ou « G auto-centrés », qualifiés de « self adaptors », d'« auto-contacts », de « parasites » dans les classifications classiques mentionnées ci-dessus.

 

Cependant, cette gestualité dirigée vers le corps intervient aussi lorsque les patients parlent explicitement de leurs troubles : symptômes somatiques variés, douleur, organe incriminé, anxiété, etc., avec une intention communicative évidente. L'analyse très précise de cette gestualité conversationnelle se révèle d'une grande richesse, si bien qu'une sous-classification plus discriminante est nécessaire pour en affiner la lecture.

Ce travail de recherche ayant fait l'objet de publications antérieures (Vaysse, 1992 ; 1993), cela a permis de dégager la proposition du terme plus large de « gestes corpo-centrés » : la dénomination de « G auto-centrés » devient alors restrictive et est réservée à l'activité gestuelle « parasite ». Cette dernière se distingue ainsi des gestes centrés sur le corps ou « G communicatifs corpo-centrés » dont on va apprécier les qualités sous-catégorielles.

On les rappelle à l'aide d'exemples :

- Gestes quasi-linguistiques qui remplacent la parole

 

(G du doigt à hauteur de la tempe évoquant la folie)


- Gestes déictiques de désignation

(G de la paume de la main porté à plat sur le front)

(G des deux mains à plat en travers de la poitrine, évoquant une douleur d'origine cardiaque).

- Gestes monstratifs pictographiques qui illustrent une mesure réelle ou imaginaire

 

(G d'écartement des 2 mains suggérant le volume du cœur et son augmentation péjorative)

 

(G d'éloignement des 2 index à propos de la longueur d'une cicatrice thoracique post-chirurgicale,

précédé d'un G déictique sur le mot - là ! - désignant la poitrine)

- Gestes monstratifs kinémimiques qui illustrent une situation grâce à une sorte de mime

requérant aussi un changement postural


Par ailleurs, selon que le discours verbal du parleur évoque son propre corps ou le corps d'un autre sujet d'une part, tout ou partie du corps d'autre part, ces gestes sont :

- indicateurs d'une référence corporelle partielle (bras, thorax, cœur, zone locale...) ou totale

- auto-référents : le parleur évoque son corps et le geste se retourne vers la zone concernée. Les exemples ci-dessus sont donc des G auto-référents partiels.

- allo-référents : le discours verbal évoque le corps d'autrui et le geste se retourne encore vers le corps du parleur. Exemples à venir.

2.3. Le geste corpo-centré communicatif, dans ses rapports à la parole 

2.3.1. Corrélation au flux parolier

Rapportés au flux parolier, ces gestes coïncident toujours avec des propos concernant le corps. Ils fonctionnent de manière synchrone ou parfois légèrement anticipatoire. Ou bien, il s'agit d'un geste quasi-linguistique qui se substitue à la parole, soit que le patient manque de vocabulaire technique, soit qu'il possède mal la langue française comme cela se produit avec certains sujets maghrébins ou autre origine.

2.3.2. Corrélation aux contenus paroliers

Rapportés aux contenus paroliers, on retrouve les constats habituels des modalités verbales et gestuelles qui apportent des informations redondantes, mais aussi complémentaires, voire parfois discordantes trahissant des contradictions internes chez le sujet.


Ainsi, les séquences où il est question précisément du corps en souffrance ne sont pas exprimés par la seule voie verbale, surtout quand il s'agit de la première évocation auprès du médecin. La répétition de l'évocation du symptôme peut parfois se verbaliser sans accompagnement gestuel, situation approchant celle de la récitation.

Ainsi encore, la verbalité seule ne permet pas d'encoder et/ou de véhiculer toutes les informations nécessaires à la bonne expression du discours du parleur puisqu'il recourt intuitivement à cette double modalité langagière.

Ce qui conduit à examiner également l'intérêt informatif de ce discours mouvementé pour le destinataire et de vérifier que ce discours est compris de lui, en s'interrogeant sur les processus qui rendent implicitement ce type d'échanges valables.

2.4. Fonctionnalité informative

2.4.1. Liens au discours littéral

L'occurrence communicative des gestes fait ressortir le lien direct de la gestualité avec la pensée sous-jacente, sans avoir à passer par une mentalisation verbalisante, ce qui suppose la mise en jeu d'un processus plus intra-corporel qu'intra-psychique sous-tendant ce phénomène.

La gestualité corpo-référente communicative centripète (au corps du parleur) devient fréquemment et facilement l'élément dominant du discours quand il s'agit, pour le patient, d'expliciter une sensation interne, une perception corporelle :

  • l'analyse de cette gestuelle objective que des qualités sémiotiques précises servent à élucider des symptômes en véhiculant un contenu (gestuel) propre qui supplée la parole dans ce qu'elle ne transmet pas

  • la zone corporelle en cause, la sensation locale, la diffusion algique sont traduites par cette gestuelle évocatrice d'une action comme « taper, serrer, griffer, tracer, pénétrer, vriller, tordre... » accordant à chaque geste - par une sorte de chorégraphie spatiale - un rôle langagier sémiotique plus spécifique qui se surajoute à leurs qualités déictiques ou illustratives variées.


-  > Ceci révèle l'existence de liens intracorporels établis entre sensation et action comme entre sensation - perception et image mentale, d'où l'existence d'une interchangeabilité sémantique et signifiante entre paroles et gestes, d'où aussi l'aptitude kinésique à cumuler plusieurs valeurs sémiotiques au service d'une expressivité plus précise.

-  > Cette gestualité, unique en tant que liée au vécu du sujet, est éclairante dans l'échange pour le médecin car elle aide à déceler quel organe est incriminé au-delà du symptôme ou de la douleur difficilement descriptible par la seule verbalité ou encore quel type de pathologie atteint un organe. Mais, la condition de cette orientation diagnostique (qui n'est bien sûr qu'un des éléments) est que le sens du geste soit partagé entre les interlocuteurs, qu'il soit compréhensible du médecin, alors même qu'il n'y a pas de signes gestuels conventionnels et qu'il ne s'agit pas de l'usage d'un répertoire de G quasi-linguistiques.

Le processus sollicité ne relève donc pas d'un code mais d'une inférence empathique de la part du médecin, on va le voir.

2.4.2. Liens au discours métaphorique

Toujours rapporté au contenu parolier, l'analyse repère des expressions populaires verbales impliquant un organe, non pas par une sensation interne mais par une métaphore énoncée simultanément au geste corpo-centré, comme cet exemple :

 

La désignation gestuelle concerne l'emplacement supposé, imaginaire du cœur, et non sa position anatomique qui est centrale. L'organe est alors celui de la représentation culturelle et symbolique qui l'investit comme le siège de l'âme et des sentiments (Vaysse, 1996b).

Ce dernier geste a une dimension connotative par opposition aux gestes précédemment évoqués où domine la dimension dénotative liée au discours littéral.

-  > Le médecin discrimine facilement la tonalité émotionnelle et affective du patient d'un problème cardiaque organique dans le dernier exemple. Le corps, par l'organe, est support réel d'un déplacement métaphorique jusqu'à rendre possible la pensée abstraite ; le sujet, par le geste, matérialise l'accrochage charnel de la représentation mentale affectée, intriquée à la dimension symbolisante du corps.

-  > Au plan neuro-physiologique et linguistique, les travaux de David Mac Neill (1987 ; 1992 ; 2005) sur des arguments évolutifs et ontogénétiques, avancent que mots et gestes émanent d'un seul processus corporel maturatif, évolutif en 2 stades : les gestes refléteraient la première pensée dite « imagée » précédant la pensée dite « linguistique » ; d'où cette organisation hiérarchique du geste qui accompagne ou devance le mot, rapportée aussi par d'autres travaux, dont ceux de Adam Kendon (2004).

3. Le geste corpo-centré dans ses rapports au corps
- implication référentielle -

3.1. L'acte gestuel de référenciation au corps, en tant qu'objet du discours, engage plusieurs réflexions

D'une manière générale, le geste déictique est quasi-systématique dès lors que l'on évoque verbalement un objet.

Mais lorsque le geste déictique ou monstratif a pour objet le corps, son effectuation n'est possible que parce qu'il existe un investissement intériorisé du corps et un Moi psychiquement organisé ; processus sans lequel il n'y aurait pas de représentation possible de soi-même, ce qui rendrait l'accompagnement gestuel corpo-centré aléatoire.

3.2. Le corps comme référence identitaire du Moi / du Self

Un geste auto-référent total peut ainsi accompagner le « Je », le « moi » parolier.


Par cette auto-désignation non consciente, le sujet affirme son identité et/ou en renforce l'impact. La totalité de son être est présente par ces gestes directionnellement centraux et médians (localisation thoracique basse ou épigastrique dite communément « plexus ») rappelant le « hara », point énergétique central dans une représentation culturelle orientale du corps.

La représentation identitaire du sujet ne se situe donc pas au niveau du cerveau, cet organe ne figurant pas comme une métonymie du tout corporel, malgré l'importance scientifique qu'on lui accorde ; le sentiment identitaire, propre à soi-même, référencie le corps entier.

3.3. Le corps comme support référentiel ontologique

Mais il peut s'agir d'une allo-référence, c'est à dire que le corps du parleur sert aussi de lieu et de lien référentiels lorsque le corps d'autrui, présent ou absent, est évoqué verbalement.

 

 

Par ses qualités égocentriques et projectives, le corps sert donc à situer les objets présents ou absents et à mettre en scène leur représentation.

3.4. Loi générale de référentiation et dimension corporalisée de la pensée

-  > Du point de vue de la pragmatique linguistique, ces exemples rejoignent ceux - nombreux - qui ont permis d'énoncer la loi générale de désignation du référent : un orateur qui mentionne une personne ou un objet présent va systématiquement faire un geste (ou esquisser un regard) dans leur direction. Quand la personne ou l'objet est absent mais qu'un de leurs représentants catégoriels - voire symboliques - est présent, c'est vers ce représentant que sera alors dirigé le geste (et/ou le regard) (Cosnier et Vaysse, 1992).

-  > Du point de vue de la psychologie psycho-dynamique, les manquements ou les distorsions à la loi de la référenciation sont apparus comme une sorte de matérialisation visible et lisible de troubles ayant trait à une problématique identitaire et à une atteinte de l'Image du Corps (concept psychologique définissant l'image intériorisée en partie inconsciente de soi) selon des observations faites dans diverses situations psychothérapiques (Vaysse, 1996a ; 1997 ; 2006).

-  > Cette gestualité corpo-centrée et le mécanisme de la référenciation mettent en lumière la dimension corporalisée de la pensée.

Le corps est support de la pensée en tant qu'organisateur du processus énonciatif : ceci veut dire que la traduction de la pensée par une mise en mot n'est possible qu'associée à une activité kinésique aux fins de fournir un énoncé verbo-gestuel compréhensible du receveur - ici le médecin -.

Le corps est support d'identification d'abord à soi-même, comme lieu identitaire. En conséquence, la chaine idéo-affective, que le parleur s'efforce de traduire en énoncés, va se définir dans un système spatio-temporel où c'est son corps qui sert d'ancrage référentiel et fait figure de point central.

Mais le corps du parleur sert aussi de support identificatoire à autrui, trahi par le geste allo-référent, sous-tendu par un « transfert de représentation » et en vertu de la loi édictée ci-dessus.

A partir de cet aspect d'une pensée incarnée, ceci conduit à évoquer les relations tissées entre empathie et gestualité.

4. Le geste corpo-centré dans ses rapports au corps
- implication empathique -

L'utilité de cette gestualité corpo-centrée n'est pas que discursive. Elle n'assure pas qu'une fonction régulatrice homéostasique et émotionnelle, facilitatrice de l'encodage et de la mise en mot comme cela est connu des gestes extra-communicatifs qui échappent plus facilement au contrôle défensif et surmoïque, faisant état de positions plus inconscientes.

Elle n'assure pas, non plus, que les fonctions informatives et référentielles comme on l'a détaillé avec la gestualité corpo-centrée communicative.

4.1. Le corps comme « analyseur » des occurrences posturo-gestuelles inter-partenaires

En effet, cet aspect corporalisé de la pensée va induire chez le receveur des phénomènes de perception d'autrui à partir de la mimo-posturo-gestualité du parleur. La pensée imagée, verbalisée et/ou gestualisée, sert autant au parleur qu'au receveur au point de vue empathique. Divers travaux ont montré que le corps, en fait, se comporte comme « un analyseur » (Cosnier, 1994 ; 1998) des productions communicatives d'autrui et l'on parle au plan théorique d'empathie inférentielle, à savoir percevoir autrui en soi et inférer sur ses dispositions. Ceci induit des représentations et affects par phénomènes de miroir, d'échoïsation réciproque.

Autrement dit, ce système de partage, inter-corporel, relève de l'utilisation échoïsante du corps, requérant de façon privilégiée le canal kinésique et le processus empathique. Ce dernier s'avère complémentaire du processus rationnel cognitivo-perceptif qui, lui, assure le décodage des signaux.

C'est l'ensemble de ces dispositions qui prédispose à une subtile synchronisation interactionnelle et installe une tonalité communicative affectée, modulée en permanence par les corps des partenaires et à leur insu conscient.

4.2. L'empathie inférentielle objectivée par la lisibilité du geste

Dans la recherche présente, de nombreuses séquences objectivent ce phénomène, accordant à la gestualité des qualités d'empathie.


Le médecin ou l'infirmière, s'identifiant à leur patient, entre dans un processus empathique, visible ici par le geste corpo-centré allo-référent.

Mais, au-delà de l'empathie visible par le truchement de l'observation de ce type de gestualité, il y a sollicitation intime du processus empathique alors que le patient gestualise ses troubles et que, sans codes préalables, le médecin recevant le discours du patient, il le comprend et l'intègre comme données pertinentes.

4.3. Origine et usage des mécanismes empathiques

Par ailleurs, les mécanismes d'empathie inférentielle sont corroborés par des recherches à plusieurs niveaux qui se complètent.

4.3.1. Enjeux neuro-cérébraux : perception - action - représentation et neurones-miroirs

Au plan neuro-physiologique, la visualisation d'un sujet en mouvement provoque dans le cerveau de l'observateur des activités analogues à celles qu'il aurait s'il réalisait lui-même cette activité motrice. Les enjeux touchent le cortex frontal et pariétal et leurs neurones-miroirs qui induisent une résonance motrice non intentionnelle (Berthoz, 1997 ; Rizzolatti et al., 2002 ; Decety, 2004).

Concernant l'empathie à la douleur, d'autres expériences révèlent que les éprouvés à l'égard de la douleur physique d'autrui ne se limitent pas à une représentation affective mais reposent aussi sur une représentation somatique précise. Le mécanisme en cause fait intervenir la sensibilité personnelle de l'observateur (ici le médecin) qui se trouve inhibée et corrélée à l'estimation subjective de l'intensité douloureuse que cet autre (ici le patient) est censé ressentir (Stamenov et Gallese, 2002).

4.3.2. Enjeux psycho-dynamiques : la construction maturative de l'empathie

Au plan psycho-dynamique, les processus empathiques et identificatoires supposent une modulation développementale active, corporelle plutôt que cérébrale, avant d'être psychique. Ils sont basés sur des représentations motrices, à l'origine de repositionnements échoïsants infra- ou sub-liminaires à la conscience, mais ils découlent des dialogues corporels mère/sujet-enfant, primordiaux dans les débuts de la vie. En effet, à la phase initiale de communion affective gestuelle et vocale (empathie d'affect) succède celle des imitations mimo-posturo-gestuelles (empathie d'action) qui vont se charger d'une valeur communicative, comme par exemple les gestes déictiques qui, désignant un objet commun au sujet et à l'enfant, développe chez ce dernier une forme de représentation mentale et inaugure un partage possible (empathie de pensée) (Nadel et Decety, 2002).

Les acquis empathiques successifs se recouvrent sans s'annuler et fondent l'empathie des adultes et leur aptitude à échoïser avec autrui. Il ne s'agit pas d'un phénomène qui entraîne la confusion soi - autrui, l'autre n'apparaissant pas comme un double mais comme un semblable. Dans une interaction, 2 univers psycho-corporels - depuis les sensations, les émotions, les images mentales jusqu'à leurs communications en particulier non verbales - vont pouvoir entrer en résonance et dans une large concordance d'ordre ontologique puisqu'ils découlent d'un système maturatif similaire.

4.3.3. L'intersubjectivité patient - médecin et leurs mouvements empathiques

 ? On perçoit l'ampleur de l'usage pragmatique de l'inférence empathique dans les interactions médicales quant à la perception et à l'attribution des sensations abordées dans l'échange patient - médecin, quant à la lecture juste de la chorégraphie spatiale d'un geste traducteur de tel trouble. Ces inférences, mentales et affectives, fonctionnent à l'égard de chaque patient sans que la perception propre du médecin en soit perturbée. Et réciproquement.

 ? L'empathie, faculté d'inclure dans son environnement celui d'autrui, se révèle être aussi une base de l'intersubjectivité en créant une syntonie affective et motrice entre le patient et son médecin qui peut ainsi assimiler les données verbo-gestuelles (du patient). L'empathie est alors susceptible de sensibiliser le médecin au savoir profane de son patient, au lieu de s'en tenir à « n'extraire » de son discours que des données rationnelles alimentant son point de vue, comme certains semblent le faire (ces médecins, auraient-ils des dispositions empathiques moindres ? défaillantes ? non construites ?).

5. En conclusion : le rôle polyvalent des gestes corpo-centrés en site médical

Le patient, qui se sert toujours de son corps comme support à l'expression de sa pensée, réalise une mise en acte de la pensée au travers de la gestualité. En d'autres termes, une mise en corps est non seulement indispensable à la mise en mot, mais cette dernière doit conserver l'alliance et la suppléance des contenus informatifs gestuels pour se faire pleinement comprendre.

Le médecin use des mêmes stratagèmes à ce point de vue.

L'interaction est continuellement vivante, animée, compréhensible des 2 interlocuteurs. C'est par les corps - celui du patient et celui du médecin - que transite, en fait, la véritable adhésion au discours de l'autre et que se forge la qualité des échanges.

 ? L'exposé des problèmes par les patients doit rejoindre le décryptage qu'en fait le médecin.

Le médecin est donc censé capter, au long de la consultation, toutes les informations (sensation, émotion, cognition, geste, parole) et assurer simultanément la lecture de l'échange :

  • en terme de signification qui tient compte du savoir profane des patients et de leur subjectivité

  • en terme d'interprétation qui s'appuie sur son savoir expert dans un souci d'objectivité scientifique.

 ? C'est l'ensemble des processus informatif, référentiel et empathique (artificiellement séparés pour la compréhension du texte) - dans lesquels on a vu le rôle polyvalent assumé par les gestes corpo-centrés - qui fonctionne en site médical (consultation). Au plan clinique, cela permet au médecin de décrypter les différents messages délivrés par le patient et d'intégrer les savoirs réciproques, à des fins décisionnels diagnostiques et thérapeutiques éclairés.

Bibliographie

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